RÉSUMÉ OFFICIEL L’interrogation de la dimension genrée du journalisme permet d’éclairer de nombreuses facettes de la profession et du travail journalistique. Pour cela, le questionnement des catégories de genre et des rapports de sexe doit être articulé aux autres dimensions de l’analyse de l’espace médiatique. Il s’agit d’abord d’étudier la féminisation de la profession pour en éclairer les dynamiques et les relier aux autres évolutions du journalisme, des médias et des industries culturelles. La réflexion porte ensuite sur la contribution des rapports de genre à l’organisation des entreprises de presse, à la distribution du pouvoir et au fonctionnement des dispositifs managériaux. L’article s’attache enfin à examiner l’existence de modes de traitement genrés de l’information, pour souligner leur diversité et dégager les rapports différenciés au genre et aux conventions professionnelles qu’ils engagent. 177-178 Nous mettrons donc en lumière les liens entre féminisation du journalisme et expansion numérique et diversification des conditions de travail, élévation du niveau de diplôme, précarisation des statuts... Ensuite, nous réinscrirons ces éléments dans les évolutions plus globales des médias et des industries culturelles, en particulier les processus d’industrialisation et de marchandisation de l’information et la culture (Flichy, 1980 ; Miège, 1989, 1997 ; Tremblay, 1990). Enfin, l’objectif sera de dégager les mécanismes explicatifs de la féminisation du journalisme, en évaluant la pertinence de l’hypothèse d’une entrée des femmes « par le bas », par ses secteurs dominés, parallèle à la dévaluation de la profession, comme cela s’est produit pour la magistrature (Cacouault-Bitaud, 2001), et en explorant les autres facteurs envisageables. 196-197 L’analyse de la dimension genrée du traitement de l’information permet de mettre en lumière l’hétérogénéité des modes d’exercice du journalisme et la désuétude d’une vision universalisante de la profession, supposant l’existence de valeurs professionnelles partagées et de conditions d’exercice communes du métier. Cette vision unifiée du journalisme, qui demeure dominante, résulte de rapports de force au sein du champ et de la profession journalistiques, qui se sont organisés et structurés en affirmant l’unité et les missions de la profession, reposant sur la liberté de la presse, le droit à l’information... L’analyse en termes de genre permet de déconstruire ces valeurs, cette définition du journalisme présentée comme partagée, « gender neutral » et, enfin, de mettre au jour les mécanismes de domination, les rapports de pouvoir sous-tendant ces idéaux professionnels. Par ailleurs, la multiplicité des formes de journalisme et des trajectoires de journalistes conduit à souligner la polysémie des valeurs affichées de la profession telles que l’objectivité, l’autonomie, la vérité etc. p197 Dans ce cadre, les formes dominantes de spécialisation féminine et de « typification genrée » tendent à réinstaurer le masculin comme la norme et le féminin comme « autre », reproduisant ainsi la hiérarchie du pouvoir et les normes dominantes du champ. L’intérêt et la difficulté sont alors de penser simultanément les transformations voire l’éclatement des normes dominantes du journalisme, reposant sur des définitions de la masculinité elles-mêmes variées et en évolution, et les rapports différenciés que les diverses stratégies genrées entretiennent avec ces normes dominantes. Cela peut alors aller d’un redoublement naturalisé ou idéalisé des conventions se présentant comme universelles, à une contestation radicale, en passant par des formes de compromis et de complémentarité entre des spécialités féminines qui assument leur position marginale ou spécifique, et un traitement masculin finalement incontesté.
CITATION STYLE
Damian-Gaillard, B., Frisque, C., & Saitta, E. (2009). Le journalisme au prisme du genre : une problématique féconde. Questions de Communication, (15), 175–201. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.544
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