La controverse de Valladolid ou la problématique de l'altérité

  • Fabre M
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Abstract

Nous sommes en Espagne au XVIe siècle. Christophe Colomb vient de découvrir les Amériques (1492). Espagnols et Portugais entreprennent la colonisation du Nouveau Monde. La population indigène se voit décimée par la variole, la rougeole et les massacres. Les « Indiens » sont également dépossédés de leurs terres et enrôlés de force selon le système de l’encomienda ou du repartimiento qui accorde à chaque colon, selon son rang et sa fortune, un certain nombre d’indigènes corvéables à merci. L’Église réagit à plusieurs reprises. Le sermon du franciscain Cordoba en 1511, dans la cathédrale de Saint-Domingue, lance une accusation terrible contre la colonisation. Le pape Paul III condamne l’esclavage des Indiens, en 1537, par la bulle Sublimis deus puis par la lettre Veritas ipsa. Les princes s’en mêlent également. Déjà Isabelle la Catholique, reine d’Espagne, s’était indignée des pratiques des premiers conquistadors. À son tour, l’empereur Charles Quint promulgue les Lois de Burgos (1512), puis les Leyes novas (1542), censées protéger les Indiens. Elles ne seront jamais vraiment appliquées et les Encomiendas ne seront abolies qu’en 1720. Bref, ni les directives de l’empereur, ni celles de l’Église ne réussissent à enrayer l’esclavage des Indiens et le massacre continue. C’est dans ce contexte que Charles Quint et les papes Paul III (1534-1549) puis Jules III (1550-1555) décident d’organiser cette controverse de Valladolid qui s’étalera sur presque une année, d’août 1550 à mai 1551, en présence d’une quinzaine de théologiens. La question est de savoir qui sont les Indiens : des êtres inférieurs ou des hommes comme nous, les Européens ? Le pape envoie un légat, le cardinal Roncieri, présider le débat qui oppose Las Casas à Sepúlveda. Las Casas est un dominicain, ex-évêque de Chiapas au Mexique. C’est l’avocat des Indiens. Il a laissé de nombreux écrits et notamment La Très Brève Relation de la destruction des Indes. Sepúlveda est un jésuite, grand théologien, chroniqueur et confesseur de l’empereur, traducteur d’Aristote. Les enjeux sont énormes. L’Empire engrange l’or et l’argent des mines récemment découvertes. Charles Quint vient de chasser les Maures d’Espagne mais il ne peut s’étendre à l’Est où veille Soliman le Magnifique et se voit contesté au Nord par des États rétifs comme la France ou l’Angleterre. L’expansion économique et politique de l’Empire ne peut donc s’effectuer qu’à l’Ouest (les Amériques) ou au Sud (l’Afrique). Concernant l’identité des Indiens, les contradicteurs disposent de plusieurs grilles. Théologique : sont-ils des démons, des êtres que Dieu refuse, ou des fils de Dieu ? Métaphysique : sont-ils des êtres humains comme nous ou plutôt des êtres d’une humanité inférieure, comme ces « esclaves de nature » d’Aristote ? Un spectre anthropologique : sont-ils des bêtes, des sortes de singes ? Des sauvages, de bons sauvages, comme le pense Colomb au début de son exploration ? Ou des barbares cruels qui se livrent à des exactions de toutes sortes et en particulier à des sacrifices humains ? Ne sont-ils pas finalement des hommes semblables à nous, ni meilleurs ni pires ? De la qualification des Indiens va dépendre leur traitement : comment faut-il se comporter dans la colonisation ? Et même, qu’est-ce qui justifie de conquérir ces terres lointaines ? La controverse prend bien l’allure d’un diagnostic. C’est pourquoi on y retrouve sans peine la triade conceptuelle inhérente à toute problématisation : données, conditions et registre.

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Fabre, M. (2006). La controverse de Valladolid ou la problématique de l’altérité. Le Télémaque, n° 29(1), 7–16. https://doi.org/10.3917/tele.029.0007

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