Argumentation et logique naturelle

  • Grize J
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Abstract

Convaincre et persuader L'argumentation peut être considérée comme un art dont on cherche à dégager quelques principes, à formuler quelques règles de plus ou moins mauvaise foi et rien n'empêche alors de se servir des Provinciales plutôt que De l'esprit géométrique et de L'Art de persuader. Tel n'est pas aujourd'hui mon propos. Ce que je vise, c'est de procéder à une étude de nature théorique, et de voir comment l'argumentation se rattache à la logique, en quoi elle en diffère et dans quelle mesure il est possible de parler d'une logique de l'argumentation. Il faut d'ailleurs immédiate-ment souligner qu'une telle logique, si elle existe, n'enseignera pas plus à argumenter que la logique mathématique n'enseigne à démontrer. Celle-ci stipule quelles sont les opérations de pensée qui président nécessairement à une démonstration ; celle-là devrait expliciter les opéra-tions propres à une argumentation. Encore convient-il de faire une distinction : celle entre convaincre et persuader. « Quand [un acte de croyance] est valable pour chacun, pour quiconque du moins a de la raison, le principe en est objectivement suffisant, et c'est alors la conviction » (Kant, 1934, II, p. 284). C'est dire que la conviction est de l'ordre de la nécessité logique. Il y a « vaincre » dans convaincre. Persuader, c'est autre chose. Des idées dont nous sommes persuadés, « ...bien peu entrent par l'esprit, au lieu qu'elles y soient introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement» (Pascal, 1960, p. 593). S'il y a victoire, c'est celle du coeur. Je commencerai par examiner les mécanismes propres à convaincre et passerai ensuite à l'examen de quelques-uns de ceux qui conduisent à la persuasion. HERMÈS U, 1995 263 Jean-Blaise Grize Fournir des preuves Il faut tout d'abord dissiper un malentendu qui a souvent cours : dans une argumentation, je crois pouvoir dire qu'une preuve n'a rien à voir avec une démonstration. C'est ce que Raymond Duval a remarquablement mis en évidence dans plusieurs de ses travaux. Il relève trois différences (Duval, 1992-1993, p. 45-46) : — 1) « Les relations entre les prémisses et l'énoncé tiers (le principe qui est à la base du modus ponens) portent dans un cas sur des propositions, et, dans l'autre cas, elles portent sur des termes constituant le contenu de la proposition ». — 2) Dans une démonstration, la « conclusion d'un pas de déduction affirme ce qui est déjà dans la partie Conséquence de l'énoncé tiers. C'est une simple opération de détachement, ha conclusion d'un pas d'argumentation peut affirmer autre chose que ce qui est dit dans l'énoncé tiers ». — 3) «Les énoncés tiers n'ont pas la même autorité dans les deux cas». Ceux d'une démonstration ont un statut préalablement fixé, axiome, définition, théorème ; ceux d'une argumentation ont une « valeur épistémique de certitude ou d'évidence attachées aux propositions prises comme énoncé tiers (..) directement liée au contenu de ces propositions ». En conséquence, les enchaînements des pas qui vont des prémisses à une conclusion ne sont pas de même nature. Ceux d'une démonstration transforment le statut des propositions, ils procèdent à des « recyclages » (Duval, 1991, p. 239) ; ceux d'une argumentation transforment des valeurs épistémiques et, s'ils n'ont rien de démonstratif, ils se déroulent néanmoins dans un cadre logique. C'est le modèle de Toulmin (1958) qui le montre le plus nettement. Selon lui, le mouvement de pensée est en substance le suivant : à partir de D (data), puisque on sait que W (warrant), et eu égard à Β (hacking), on peut conclure C (conclusion), à moins que R (restriction). Même s'il ne s'agit encore que de la forme d'une preuve, celle-ci n'en fait pas moins passer de la valeur de vérité de la conclusion à la connaissance de cette valeur. « La distinction entre la vérité et la connaissance de la vérité relève de l'opposition ontique/épistémique, c'est-à-dire de l'état des choses et de notre connaissance des choses» (Gasser, 1989, p. 59). Dès lors qu'il y a connaissance, il y a quelque sujet qui connaît. Quel est-il ? La perspective formelle que Toulmin propose n'est finalement pas très éloignée du syllogisme et Marie-Jeanne Borel a bien montré qu'en définitive «on peut toujours trouver des prémisses qui rendent l'argument analytique» (Borel, 1974, p. 81). De sorte que, si sujet il y a, ce ne peut être que l'auditoire universel de Perelman, c'est-à-dire un sujet abstrait, réduit à du pur cognitif, sans désirs ni émotions. On peut être convaincu, mais rien n'assure que Je sois persuadé. Pour cela, il faut bien davantage. Le destinataire que je suis doit, non seulement savoir que telle est la valeur de la proposition, il doit encore en avoir le sentiment. Ce n'est donc pas tellement la valeur épistémique de la conclusion qui importe que la croyance que l'on en a. Donner des raisons ne suffit pas — parfois ce n'est même pas nécessaire — il faut faire voir les choses. 264

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Grize, J.-B. (1995). Argumentation et logique naturelle. Hermès, n° 15(1), 263. https://doi.org/10.4267/2042/15171

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